DOMINIQUE LECOMTE & SYLVIE FREYCENON

DOMINIQUE LECOMTE

La dernière réplique du célèbre film de Carol Reed, daté de 1949, intitulé « Le Troisième Homme » est celle-ci : « Je n’ai pas envie d’être raisonnable ». Elle est prononcée par le personnage de Holly Martins fasciné par Anna au point qu’il ne songe plus à quitter Vienne la maudite.

J’ai songé à cette réplique en regardant les œuvres de Dominique Lecomte. « Je n’ai pas envie d’être raisonnable » ! Voilà une devise que bien des artistes devraient adopter. L’art de Dominique Lecomte est un art du délire, de la fantaisie mise en liberté de manœuvre et d’invention picturale. Un esprit d’enfance, sans l’ombre et le sérieux du grand âge.

Quand l’imagination, cette reine des facultés selon Baudelaire, prend le pouvoir, crée sa propre mythologie, sa propre vérité, rien ne doit plus nous étonner, ni les femmes-papillons, ni les poissons volants pianotant les nuages, ni le cirque épris de son apesanteur, ni ce carnaval des animaux humains, ni ces clowneries existentielles… Tout est possible, tout est vrai, tout est offert à la beauté haute en couleurs. Les éléments convergent en une unité supérieure. Les règnes qui cloisonnaient la vie en catégories bien distinctes n’ont plus cours. Les vies s’interpénètrent, les objets, les animaux, les humains se confondent dans un plus vaste et meilleur monde que le nôtre, dans une création plus foisonnante et libérée que la nôtre. Fantasmes, fantaisies, fantasmagories, fables fallacieuses, et bientôt familières, féminités fertiles, fleurs flamboyantes et frénétiques, tout ce beau monde est à placer sous la protection de la déesse-mère Lemanja, dont toute vie émane. « La mère dont tous les enfants sont comme les poissons », ce qui explique en ses vastes toiles la présence capitale de l’élément aquatique. Tout cette fête païenne flotte entre ciel et terre, dans une mer en apesanteur suspendue.

Et malheur à qui laisserait sa raison l’emporter dans des critiques et des haussements d’épaules, face à ces élucubrations! Il aurait vite fait d’être catalogué comme un impuissant, comme un poids mort, bon pour le placard des esprits plombés !

Tout est devenu, dans l’esprit et grâce au pinceau sans retenue de Dominique Lecomte, une poésie extravagante, délirante, surréaliste, dalinienne parfois, capable d’ouvrir toutes les portes-fenêtres de notre propre imaginaire pour colorer notre grisaille intime. C’est une Création opérée par un mystique extralucide, un vaste hommage à la puissance vitale, au dynamisme créateur, à la déraison, à l’absurde. Credo quia absurdum ! Laissons-nous faire, et nous aurons droit à de sacrées promotions, celles de la Liberté, à son tour créatrice.

MICHEL LAGRANGE

TRANSFIGURATION  (Inspiré par les œuvres de Sylvie Freycenon)

Bois mort à l’apparence

Usé rejeté naturel

Auquel une odyssée de silence anonyme

A fait perdre à la fin le souvenir de l’arbre

Obscur bois flotté nuageux

Que l’érosion métamorphose

En presque-rien

À ce fragment de mémoire erratique

Il m’appartient de promouvoir des lettres de noblesse

Et de donner des ailes

À ce qui en est dépourvu

Échappée belle offrant son intuition solaire

Aux arguments du sol ancien

Telle est ma raison d’être

Je m’entremets pour composer

L’harmonie d’une transparence

Aux vibrations cosmiques

Où le hasard n’aura plus cours

C’est l’au-delà qui purifie

La pesanteur d’un morceau de bois silencieux

Comme si l’olivier avait toute sa vie durant

Espéré la météorite

Afin de se greffer sur les parvis du ciel

L’amour aux ailes vitrifiées

Donne à l’inertie du bois mort

Une envergure originale

Ainsi je refais le monde alentour

Mobilisant les vents contraires

Afin qu’ils ne fassent plus qu’un

Ce qui n’était réduit qu’au mutisme du matériau

À nouveau s’illumine

Écho posthume d’un bois mort

Sur le versant verrier

D’un matin gelé d’ombre blanche

Regain de sève en ses lignes de vie

Le soleil habite à nouveau

Les nœuds du bois polis comme un genou divin

Je peux unir ainsi l’espoir et la beauté

Là où ne subsistait qu’une inertie fatale

Alors que je transforme un mur profane

En réseau vibrant de vitraux

Rien ne sera dorénavant plus doux

Que ce roncier apprivoisant son carreau de lumière

Œuvre d’amour

Élévation de cathédrale à ciel ouvert

Ensemencé par l’esprit lumineux

Qui est ma transparence

Ainsi la matière et l’esprit

Ne cessent plus de se mettre en abyme

Et moi je me perds dans l’espace

Afin d’y accomplir ma destinée

MICHEL LAGRANGE

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