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CATHY ANGELLI – RENALD PIERRE – ALIAS LEBAUDY
LE MOT DE MICHEL LAGRANGE
Les artistes qu’une Galerie comme celle-ci expose sont le plus souvent le reflet de la personnalité de son propriétaire. Je vous invite donc ce soir à découvrir l’esprit profond de Patrick Dupressoir !
Aujourd’hui, notre galeriste préféré nous invite à la contemplation de trois artistes, fort différents les uns des autres à première vue. Mais on n’est pas dans une Galerie d’art pour se contenter de la « première vue ». Il faut aller plus loin ! Nous tenterons de découvrir ce qui, chez ces trois personnalités, se ressemble, et nous plaît.
Cathy Angelli (quel beau nom pour un artiste !) nous entraîne dans des paysages. Elle peint souvent des fresques qui ont en général pour support un mur. Des aperçus de perspectives, des arbres, des maisons, des personnages… peints, mais avec une telle justesse, une telle virtuosité, qu’il se passe quelque chose ! A un moment, la peinture d’un paysage devient un paysage tout court, ou plutôt tout en longueur, profondeur, altitude, et vérité nouvelle! Alors, la peinture semble sortir de son cadre, se révolter contre ses limites, ses platitudes, abuser de son pouvoir de séduction. Et nous voici captivés, capturés, ravis par ce trompe-l’œil, qui est un trompe-l’esprit. Heureux d’ouvrir des fenêtres et des portes, de passer la muraille, comme dans un célèbre conte de Marcel Aymé. On entre dans un rêve, par la grâce d’un talent et la magie d’un savoir-faire.
Alias Lebaudy… Qui se cache derrière ce qui apparaît comme un pseudonyme ? « Alias » signifie « autrement dit ». Par exemple « Jacques Collin, alias Vautrin », que le cinéma célèbre aujourd’hui, d’après les romans de Balzac. Qu’importe après tout l’homme qui se cache derrière un nom ! C’est son œuvre qui compte, et qui révèle le meilleur de lui-même. Cet art est décoratif, essentiellement. C’est un art du trait, une harmonie née de semblants hasardeux, qui trouve son accomplissement en quelques cartes qui sont une autre géographie mentale. Là aussi, quelques traits, quelques couleurs, rares, et l’on embarque pour la haute mer de l’imagination. Je parle de haute mer parce que plusieurs de ces dessins me font penser aux longs filaments ondulants des méduses dans un apparent liquide amniotique. Chez Alias Lebaudy, le rôle du noir me paraît essentiel. J’ai eu la chance de travailler avec Pierre Soulages, qui fêtera ses cents ans cette année. Le noir est obsessionnel chez ce peintre de Rodez, il conduit la lumière, et il devient un outre-noir flambant neuf. Chez Alias Lebaudy, le noir a des reflets profonds, jamais funèbres, mais toujours créateurs de profondeurs vibrantes. Alors, qu’importe qui est vraiment Alias Lebaudy, l’essentiel est ce que le Beau nous dit.
Notre troisième artiste est un Châtillonnais. Renald Pierre. J’ai eu la bonne surprise de regarder une de ses vidéos dans laquelle on le voit sculpter, en accéléré, une tête d’homme. C’est extraordinaire ! Une masse d’argile (et les potiers qui ont plus d’un « tour » dans leur sac d’argile savent bien tous les possibles qu’ils pourront en tirer !) une masse d’argile que le sculpteur travaille, façonne, à laquelle il s’applique, qu’il corrige, rectifie, modifie, retouche, enrichit chaque fois de ces quelques riens qui feront enfin un visage unique. C’est envoûtant de voir se faire une vie sous nos yeux. C’est la Genèse recommencée ! À un moment donné,que les mains du sculpteur connaissent, la masse d’argile oublie qu’elle est de terre crue, elle laisse passer en elle l’Esprit de l’être. On oublie la matière originelle, on laisse entrer la vie, celle d’un homme, d’une personne humaine, d’une baleine, d’un bonobo… On sait que l’éléphant d’argile a toutes les raisons de pleurer. Et l’on y croit.
Car comme chez les deux autres artistes, les apparences vont plus loin qu’elles-mêmes et nos yeux obéissent à la métamorphose.
Ainsi, ce qui paraît réunir nos trois artistes, c’est leur amour de la vie, leur respect du vivant, un certain esprit d’enfance, leur culte de la Beauté qui emporte loin des angoisses de notre temps. Ce sont trois célébrants, trois amoureux de notre vie et de ce qui la dépasse. Trois amoureux des trompe-l’œil, trois charmeurs de l’esprit des êtres et des choses.
Et ce n’est pas Patrick Dupressoir qui me démentira !
LE CARNAVAL DES ANIMAUX DE RENALD PIERRE
Ce qui frappe d’emblée quand on regarde une sculpture de Renald Pierre, représentant un animal, c’est la vérité de l’expression. Renald Pierre privilégie le fragmentaire, le fragment terre, aux dépens d’une représentation achevée, complète. Ainsi, il met en avant ce qui importe dans la représentation, le détail signifiant, où tout se concentre avant de rayonner. On assiste alors à quelque chose de paradoxal : moins l’œuvre est achevée, plus elle est forte. C’est un art des fragments qui parlent.
Quand il sculpte par exemple une tête de gorille, il insiste sur le masque facial, par des lignes qui sont celles de la nature vivante. Quelques détails, ceux des épaules, de la poitrine, des jambes… Et de nombreux manques, nécessaires à la simplification. Un résumé de l’animal qui en dira plus long que la copie complète.
Quand il s’agit d’une tête de rhinocéros, ce que Renald Pierre met en valeur, ce sont les plis autour des oreilles, des yeux, des lèvres ; une surabondance de vie, des yeux petits mais d’autant plus ardents.
C’est le visage qui fascine le plus souvent, encadré d’éléments corporels, juste esquissés, suggérés. Notre imagination poursuit, complète, et donne vie.
Dans le visage, quelques détails, dont le regard, toujours central, est captivant. Un froncement de la paupière suffit pour que le globe oculaire se mette à exprimer la vie profonde. Un froncement en plein accord avec le reste du visage, le nez, la truffe, le museau, la gueule…
Quelques détails privilégiés donc, choisis de l’intérieur, par une force de sympathie qui unit le sculpteur et l’animal représenté. Je me demande si Renald Pierre, quand il sculpte une tête de rhinocéros ou d’éléphant, ne devient pas lui-même rhinocéros, ou éléphant, par un phénomène de communion, pour en saisir l’intimité vivante, active.
Le visage d’un gorille n’a rien perdu de sa force en passant de la vie à l’œuvre sculptée. Au contraire ! Cette œuvre d’art ne se contente pas seulement d’imiter la vie animale, à la façon d’une photographie, elle approfondit le visible au point de capter l’invisible, l’instinct profond. Imitation pure et simple ? Plutôt fidélité à l’esprit vital de l’animal. Saisie intuitive, quasiment totémique, magique. L’artiste ne retient que ce qui fait corps et vie.
Si l’on compare cet art animalier avec celui du Bourguignon François Pompon, on est tout de suite saisi par ce qui les oppose : chez Pompon, tout est lisse, stylisé à l’extrême, idéalisé, purifié des détails triviaux. Son ours blanc est fluide, d’une élégance limpide et raffinée. Chez Renald Pierre, l’animal est rugueux, pétri dans la glaise, lourd, puissant, instinctif. Il pèse, il déclare une puissance aux aguets.
Son lièvre est à l’affût du danger, il va bondir, son œil exprime la peur… Les traces, volontairement laissées du travail de l’argile, ajoutent aux sentiments et donnent une épaisseur de vie aux formes frémissantes.
D’un gorille assis, ce qui intéresse le sculpteur, et qui attire en priorité notre regard, c’est la main droite repliée sur la poitrine ; une main énorme, lourde, démesurée, presque informe, mais criante de vérité puissante, prête à la saisie brutale, à la façon d’un King Kong.
De l’éléphant, Renald Pierre retient la puissance, la longévité, on dirait la force tranquille. Tous les plis de la terre cuite reprennent ceux de la réalité que l’on connaît, mais on dirait que l’artiste les sublime, leur conférant une dimension qui va plus loin que la copie de la nature.
On ne saurait donc parler d’imitation, de reproduction. L’image de l’animal que nous donne Renald Pierre est une image idéale de l’animal, une abstraction, une généralisation. Il associe un lièvre, un gorille à l’idée parfaite que nous nous faisons de l’animal, qui devient ainsi Le Lièvre, Le Gorille… En perfection.
Cela demande une forme particulière d’activité intellectuelle, qu’on peut appeler « intuition intellectuelle », connaissance véritable.
L’observation de l’animal, la réflexion, conduisent l’artiste à entrer en communion avec l’objet qu’il va sculpter.
Renald Pierre, comme tous les véritables créateurs, est animé par un idéal esthétique qui n’est ni étrange, ni extérieur à lui-même. Cet idéal reflète sa propre nature intérieure, il constitue son essence spirituelle, il réalise le contenu de sa vie. Cet idéal est ce qui fait de lui ce qu’il est, sa vérité profonde.
C’est pourquoi l’art animalier de Renald Pierre est un art vivant, subtil, véridique. Ses têtes d’animaux sont des trophées, non de chasse, mais d’admiration, de respect, d’amour à l’égard d’un monde qui, finalement, n’est pas si éloigné du nôtre.
MICHEL LAGRANGE Février 2019