ANTONIO ALMODOVAR & COCO SYMO

Vernissage de l’Exposition Antonio Almodovar et Coco Symo

COCO SYMO par MICHEL LAGRANGE

Il y a dans l’art de Coco Symo une sorte de bonheur en suspension. Je dirais une « célébration » de la vie, de ses formidables dons et de ses mystères. Il y a la quête d’une harmonie, d’une beauté conforme à la paix spirituelle. Un art de jouir de la vie, une sorte de chorégraphie en apesanteur. Partant de la matière, Coco Symo veut donner à ses volumes sculptés une allégresse où l’air circulerait. De la matière à l’esprit, à l’évocation de l’espace et du temps. Ce sont des apparitions, des mirages, des visions d’outre-temps, des nativités, des fenêtres ouvertes sur des rêves, bref, autant de voix intimes que de chemins secrets.

Ce qui peut frapper en ces sculptures, c’est le constant dialogue entre la matière et le vide, la réalité et le virtuel, l’apparence et le mystère, la flamme et la lumière, la matière et l’esprit. Ainsi dialogue la dureté de l’arbre et la chanson du vent dans le feuillage.

Qu’elle sculpte la pierre, le bois, qu’elle crée des assemblages de céramique, Coco Symo nous offre une harmonie de formes et de couleurs. Des arabesques, où dialoguent les règnes de la vie animale, végétale, humaine. Sa sérénité ne me paraît pas acquise en premier, mais résulter d’une victoire sur l’adversité. Il n’y a pas de création sans un esprit de liberté et de revanche sur le réel, les apparences, le disparate, les douleurs mêmes. Comme l’arc-en-ciel est l’union du soleil et de la pluie, il est aussi l’union de l’être humain avec lui-même, dans un bonheur qui est un dépassement. Lorsqu’elle sculpte une tête de mort, rien n’est ici fatal et douloureux. Car de ce crâne jaillit un couple enamouré, comme si la mort n’avait pas le dernier mot, comme si la vie trouvait ses fondements dans un perpétuel dépassement du temps qui passe. Sa quête de la beauté, c’est le succès de l’unité sur le puzzle incertain, sur le labyrinthe hasardeux. Expression d’une grande sensibilité fière d’elle-même.

Une sensibilité qui fait que je m’interroge : existe-t-il un art féminin, plus délicat, plus sensuel, plus vulnérable, et un art masculin plus affirmatif, brutal, dominateur ? Ce serait peut-être réducteur, voire caricatural. Pourtant quand je compare l’art d’Antonio Almodovar et celui de Coco Symo, cela est évident !

Mais comme il y a en nous, témoins spectateurs de ces apparitions, à la fois une part féminine et une part masculine, nous pouvons nous contenter doublement en admirant ces deux artistes !

ANTONIO ALMODOVAR par MICHEL LAGRANGE

Une œuvre est à la fois la fenêtre ouverte sur un monde extérieur, fantasmé, idéal ou vériste, et un miroir ouvrant sur les réseaux secrets de l’artiste en question. Je dis bien « en question ». Car l’œuvre d’art est la réponse aux interrogations de l’existence.

Ce qui frappe et crée l’émotion, dans les œuvres d’Antonio Almodovar, c’est un certain climat. Il s’agit d’un art déchirant. Violences, misères, déracinement, exil, passions, mutilations, lacérations de l’âme, voilà ce que j’y vois. Voilà ce que me disent ces toiles douloureuses, ces défis baroques, ces vieilles affiches déchirées, scarifiées par le vent ou les mains des vandales. Couleurs dépourvues de pitié, couleurs criantes (et non criardes !).

J’ai le pressentiment qu’il y a à la source de tout cela une grande douleur cachée qui force le respect. Sans doute y a-t-il dans de grandes œuvres souvent de grandes douleurs. Ombres et lumières, lumières qu’on demande parfois à des idoles, à des modèles, à des tutélaires, d’incarner, ombres qu’on n’a qu’à rechercher en soi. Or, on a l’impression qu’Antonio Almodovar demande à des gloires d’Hollywood d’incarner le souffle de l’espérance et d’une vie sublimée. Qu’il s’agisse d’al Pacino, ou d’autres vedettes célèbres, la version du peintre est cruciale et douloureuse. Même la divine Audrey Hepburn en religieuse apparaît dans un film au titre qui pourrait servir à toute cette œuvre picturale : « Au risque de se Perdre ». Tout un programme de vie, de création.

Il y a chez tout être humain digne de ce nom un combat intérieur entre ce qu’il subit et ce qu’il réplique et engendre. L’art est un chemin de reconquête. En aucun cas, il ne se résumerait à un divertissement pour des bourgeois contents d’eux-mêmes. Ce n’est pas pour le plaisir de tomber à l’eau que l’on joute à la proue de soi-même. Parce que l’on porte en soi un tel potentiel de souffrance, il faut bien que l’œuvre d’art l’exprime, l’incarne, le développe et le donne en partage.

Cet art ne montre pas l’apparence des objets et des êtres. Il exprime la force de la souffrance, la subjectivité incarnée. Il ne nous montre pas ce que nous voyons, mais il montre ce que nous vivons. Et cela doit nous émouvoir terriblement.

Ce qui m’interpelle chez ce peintre quasi expressionniste, c’est une autre facette de son grand talent : Celui, dans la salle côté rue, de ses géométries concernant Saint-Vorles. Cette église châtillonnaise est prise à témoin, livrée à une stylisation qui l’atomise, la spiritualise, lui enlève toute sa pesanteur, l’idéalise. Comme si ce lieu avait pour mission, pour « Tâche » de nous abstraite à ces angoisses précédemment relevées. Enfer et rédemption, en quelque sorte !

Antonio Almodovar nous prend donc à témoin. Qu’importe si nous sommes au rendez-vous ! Les choses auront été dites. L’art pour lui est une façon d’apprendre à ne pas mourir tout à fait. À ne pas mourir. Ce qui est d’autant plus émouvant qu’Antonio Almodovar a dû sans doute faire seul un chemin qui n’existait pas pour lui, un chemin qu’il a dû inventer. C’est un homme qui se fait lui-même, et je parle au présent. Car son chemin n’est pas fini ! Il parle à notre part de nuit, pour pénétrer dans la lumière.