VERENA DEGIORGIS – TONY BABIC

TONY BABIC

J’ai déjà eu le plaisir de me pencher, il y a deux ans je crois, sur les sculptures de Tony Babic, et d’en exprimer la quintessence émerveillée. Je me demande donc ce que je peux dire d’aussi bien, ou de mieux aujourd’hui, au risque d’avouer mon déclin intellectuel si je ne trouve rien de meilleur à déclarer ! Eh bien, tentons le pari.

Lors de mon intervention dernière, je notais l’humour, l’effervescence de cet art de la soudure, qui transcendait le métier premier de Tony Babic, artisan, Compagnon du devoir, ouvrier zingueur travailleur en chantier réparant les toitures, et devenu, par un besoin irrésistible fort émouvant, artiste de cette matière au point de lui faire exprimer la vie des animaux, en facettes diamantées.

Que dire d’autre ? J’aimerais montrer aujourd’hui que cet homme artisan, cet artiste de la matière est un homme d’esprit. Capable de comprendre la vérité des formes, et d’en dépasser les apparences, pour spiritualiser le physique des animaux dont il s’empare. Il comprend ce qui émane des volumes, et ce que ces volumes corporels contiennent de puissance, de malice, de possibilités intellectuelles. Ainsi de ce gorille, que je salue bien, tout de forces concentrées et de déterminations pesantes autant que savoureuses.

Je voudrais aussi souligner l’esprit d’enfance de ce créateur. Il ne se prend pas au sérieux, il ne prend pas au sérieux son art, sa maîtrise parfaite de son matériau de construction artistique. Il en joue comme un enfant jouerait avec les pièces d’un meccano, d’un puzzle. Tony Babic est un assembleur de perfection, un enfant qui nous prend aussi pour des enfants, avec raison. Car nous nous amusons devant ce zoo plein de malice et de justesse, comme un enfant devant une vitrine de Noël, ou comme un mélomane écoutant la fin du concerto pour trompette de Chostakovitch.

Tony Babic nous propose donc un art ludique, aux antipodes d’une esthétique porteuse de message existentiel, d’un intellectualisme vertigineux autant que prétentieux.

Avec ses sculptures, on s’amuse, on admire la dextérité de l’artisan, et la finesse de son intuition qui saisit l’animal dans sa vérité formelle et psychologique. On oublie qu’ils sont en zinc… autrement dit on les « dézingue » ! Car ses animaux sont plus vrais que nature, saisis dans leurs performances, dans leur singularité vitale. Ce que l’art apporte à cet artisan, c’est une raison d’être, un dépassement de soi, un amour de la nature animale, la justification d’une activité poussée à sa beauté supérieure.

Michel Lagrange 15 avril 2023

VERENA DE GIORGIS

Elle signe des tableaux du nom de « Daphné ». Je ne sais pourquoi, mais ce pseudonyme est porteur de quelques beaux symboles. Dans l’antiquité grecque, Daphné était une nymphe, une divinité rurale, qui, poursuivie par l’ardeur amoureuse d’Apollon, fut transformée en laurier. Verena, pour échapper semble-t-il aux banalités et aux brutalités pesantes de notre temps, s’est-elle transformée en Daphné, porteuse de lauriers ? Voici qui est prometteur pour un artiste !!

Toujours est-il que notre peintre d’origine suisse, établie à Laignes, nous offre sa vision idéalisée de la beauté picturale.

De vastes pans colorés en vertige et douceur, en délicatesse, en beauté d’âme, nous conduisent au rythme de leur partition harmonieuse. Une véritable euphonie des couleurs devenant musique et lumière, admirablement combinées entre elles, nous murmure la vaste étendue d’un univers personnel, intime, qui est l’appel au paradis de son auteur, et qui ne demande qu’à devenir le nôtre.

Ce sont marées célestes, voyages intersidéraux, vertiges du corps et de l’esprit. Ce sont marées de haute mer, énergies enthousiastes, arcs-en-ciel en délire, concertos pour couleurs entrées en sympathie.

Si l’on peut parler de musique ici, ce ne sont pas les rythmes belliqueux d’un hymne national, les expressions nerveuses d’un Beethoven, ou funèbres et romantiques d’un Berlioz, ou pathétiques d’un Tchaïkovski. Non ! Quelque chose de plus volatile, sans rien qui pose et qui pèse, un univers en apesanteur, en élans de vertige, en devenir constant, en grâce perpétuelle, à la recherche d’une spiritualité haute en couleurs. Un Jean-Sébastien Bach sans doute, un Debussy aux impressionnismes marins, ou un Olivier Messiaen, grâce à la spiritualité…ou, selon ma préférence, la musique des sphères devenue, orchestrée par Gustav Holst, « les Planètes », créée à Londres en 1918. On est dans l’harmonie des sphères, si chère aux Pythagoriciens, selon lesquels l’univers est régi par des proportions mathématiques idéales. Tel est le cosmos, vu par Verena, qui nous révèle l’ordre cosmique, fruit d’un maestro génial, divin, appel de nos âmes désorientées se cherchant une échappée belle.

Car de son œuvre se dégage une inaltérable paix, une aspiration au dépassement, qui tourne le dos aux horreurs contemporaines. Une façon d’échapper aux pesanteurs du temps. Car cet art, comme tout art majeur, veut échapper à nos limites, celles de la raison autant que celles de l’espace étouffant et du temps destructeur.

Un tableau ici révèle trois silhouettes en contemplation dans une clairière spirituelle, attirés toutes les trois par une Transfiguration lumineuse. C’est notre âme en contemplation ardente. À côté, un grand triptyque est une cathédrale aux accents infinis. Une seule ligne droite, horizontale, sépare la terre du ciel, la matière de l’esprit, le corps de l’âme, l’homme de Dieu. Et c’est le ciel qui gagne, et notre liberté.

Il y a deux sortes d’artistes, ceux qui témoignent de nos infirmités, de nos faiblesses, de nos ombres, tel le sculpteur du dernier vernissage, aux gueules cassées totémiques ; et il y a ceux qui cherchent la guérison, l’évasion, l’idéal, l’absolu. Nul doute ! Verena fait partie de ces derniers.

Elle nous appelle à l’éblouissement, aux quatre saisons de l’esprit, à la chorégraphie de l’âme.

« Il n’y aura plus de temps » dit Saint Jean dans son Apocalypse ! « Il n’y aura plus de temps », me disent les tableaux de Verena. Il y a, dans cette odyssée de l’espace, la sérénité, la liberté, la beauté, le calme et la volupté du regard qui s’enchante et devient spirituel. Pour un peu, on en pleurerait d’espérance, avant de retomber dans notre pesanteur.

Michel Lagrange 15 avril 2023