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CATHERINE ALEXANDRE et MARC PLATEVOET

LE MOT DE MICHEL LAGRANGE

On est vernis ce soir de vernissage avec nos deux artistes ! On aura l’embarras du choix pour partir en voyage de noce, en lune de miel !

Nous nous trouvons-nous aujourd’hui devant les œuvres peintes et sculptées de deux artistes épris de liberté créatrice, illuminés par un esprit d’enfance heureuse, loin du sérieux de ceux qui se veulent raisonnables, messagers, moralisateurs ou simples reproducteurs de ce qu’ils voient autour d’eux.

Catherine Alexandre et Marc Platevoet ont en commun d’être hors du commun raisonnable et « adulte », au mauvais sens du mot. Chacun avec sa personnalité invente un nouveau monde. Ce sont des jongleurs magiciens qui nous font voir leurs divagations, qui nous font croire en elles, à livre ouvert. Pas n’importe quel livre ! Celui des contes, celui des légendes, celui d’Alice au Pays des Merveilles, celui des Sagas orientales, des Mille et Une nuits de rêve… des légendes dorées fondatrices.

Nos deux créateurs sont de doux rêveurs, des « délirants », au sens étymologique du terme, des gens qui « sortent du sillon », lequel n’est que l’ornière des bien-pensants, des raisonneurs. Mais leur délire est calculé, savamment, par un mystérieux équilibre.

Leur univers est celui des contes à dormir debout. Et l’imagination est promue Reine des facultés. Ils obligent « le génie stupide de la réalité » comme dit Cocteau à obéir à leur imaginaire. 

Catherine Alexandre nous montre en des miroirs hauts en couleurs des femmes-oiseaux-poissons-fleurs-muses-phares-oranges-sabliers-paysages…j’en passe et j’en oublie ! C’est magique, mais c’est si bien réalisé qu’on y croit, qu’on y plonge et qu’on en redemande ! Comme dans les rêves, on trouve naturel ce qui n’est qu’une extravagance onirique, innocente et colorée d’humour. Pas l’ombre du moindre mal dans cet éden ouvert à tous les vents de folie douce. On est dans un monde unifié, pacifié et bienheureux d’avoir détruit les murs de lalogique. Sa « Femme Croqueuse de Nuage », je préfèrerais l’appeler « Femme Souffleuse de Nuage » car elle exprime un don plutôt qu’un rapt. Dans la chorégraphie des rêves. Dans le Paradis retrouvé. La grande leçon des visions qu’elle nous propose est un appel à larguer les amarres, à nous fier aux courants de la métamorphose. Elle nous offre des portes dérobées aux murs de la rigueur logique. Ses tableaux nous donnent des clés, celle des songes ! Celles d’un sixième continent, rescapé du déluge, quelque part entre terre et ciel.  Àvous de les trouver, ces clés, dans chacun des tableaux, à vous de les saisir et d’entrer dans la ronde ! 

Vous remarquerez qu’il y a beaucoup d’écrits dans ses œuvres, des feuilles volantes, des textes interrompus, des phylactères, des papyrus… Scripta volant ! Les écrits s’envolent et nous font voler. Parce que nous avons acquis des ailes, et appris le langage des oiseaux et des fleurs ! Quel miraculeux pouvoir !

Marc Platevoet, lui, joue diablement bien avec la réalité des choses et des êtres. Il les rend spirituelles, il leur retire leur pesanteur et les limites de leur utilité. Il s’agit d’une même folie douce que chez Catherine Alexandre, mais qui s’extériorise autrement.  Chez Catherine Alexandre comme chez Marc Platevoet, le réalisme n’a pas le dernier mot. Tous deux ne copient pas, ils ne vaticinent pas. Ils ne prennent au sérieux que leur divagation, leur délicieux délire.

Ce qui apparaît un instant chez ce sculpteur, c’est la perfection du thème animalier. Oiseaux, pachydermes, espadons, rhinocéros, pingouins, cygnes, oursins, oiseaux de nuit… etc… tout est observé avec un souci de vérité plénière. Mais, d’un seul coup, ce règne animal bascule dans le fantastique ! L’éléphant devient char à roulettes, la raie manta devient planche à surfer, l’hippocampe devient cheval de course, la tour Eiffel part en balade, un hippopotame est un carrosse qui a raté sa métamorphose en citrouille… etc… Si le poisson-lune a des yeux à lunettes, c’est pour mieux te voir mon enfant, et te convaincre d’adhérer au sérieux de sa vérité neuve.

Marc Platevoet est un espiègle, un fauteur de rêve éveillé. Il extravague, en amateur de rêve intelligent et gouverné par son imaginaire. Il marie ce qui ne devait pas se rencontrer dans la nature. Il est dans l’univers des contes où tout est possible, sauf l’esprit de sérieux. Sa logique est sans raison, mais elle existe bel et bien. Par exemple, il est naturel qu’une flûte traversière soit animée par un visage humain et que d’un bout de cette flûte des papillons s’envolent. Normal aussi qu’un concert de pingouins émane d’une fleur solaire…Naturel aussi qu’un Don Quichotte soit monté sur un rhinocéros à roulettes, un rhinocéros à corne de licorne… un rhinocéros qui tient du Nautilus…C’est l’éloge de la folie qui engendre des merveilles, comme chez Bosch, comme chez Don Quichotte, qui pourrait servir de saint patron au sculpteur-bronzier.

Marc Platevoet rend visible et crédible une réalité nouvelle, féérique, évidente, virtuose de son mariage entre le bronze et le verre, autant que de la réalité avec le surréel. Il est normal que le bec d’un colibri devienne le saphir d’un tourne-disque, solaire évidemment. Il est normal qu’une raie manta constitue une superbe planche à surfer… Tout devient mouvement mais coulé dans le bronze. Tout est relation neuve entre l’animal et l’homme. Non une relation de dominé-dominant, mais une fraternité d’avant la Chute biblique. Une innocence court dans ces bronzes et nous demande d’être de ce voyage au-delà.

   Chez ces deux artistes, une sculpture, une peinture prêtent à sourire, mais rendent au centuple un plaisir d’admirer. À contempler ces œuvres, on ouvre des brèches dans les champs (les chants) du possible, on redevient enfant.

À condition d’avoir choisi le camp du Petit Prince, et que nous ayons gardé notre âme originelle ! 

Morale de l’histoire : à jouer avec le feu, il en restera des chefs-d’œuvre, et nous aurons rajeuni de cent ans !  

   Au fil des expositions, j’ai l’impression que le choix des artistes révèle peu à peu le portrait du galériste, ou l’un de ces visages possibles. N’est-ce pas cet esprit d’enfance amoureuse de la vie qui est peut-être le secret du charme et de la réussite passionnés de Patrick Dupressoir ?

   Dans cette galerie, surtout avec deux artistes comme ceux d’aujourd’hui, on sort du temps qui passe, on met en couleurs les noirceurs de l’actualité, et l’on divorce d’avec trop de raison. On se rappelle la formule de Picasso : « Un artiste, c’est un enfant qu’on n’a pas trop élagué » On peut en dire autant de Patrick Dupressoir : Et c’est encore un compliment !