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SYLVIE KOECHLIN – THIERRY LEFORT
Ce qui étonne d’abord et fait réfléchir quand on regarde une œuvre de Sylvie Koechlin, née à Dijon, c’est le grand respect qu’elle porte à la matière qu’elle travaille (et qui la travaille). Il ne s’agit pas pour elle de métamorphoser en trompe-l’œil le marbre, la calcaire, la serpentine, la lave volcanique, l’albâtre, le gypse, le granit, en nous faisant oublier qu’il s’agit de matière.
Il s’agit de travailler avec cette matière, de la connaître, intimement, de lui demander le meilleur de ses forces et de ses faiblesses, de ses vertus et de ses défauts. Il s’agit d’œuvrer, de célébrer cette matière, d’en extraire le trésor qu’elle est capable d’exprimer. De profiter des filons de couleur, des veines, qui deviendront celles d’un corps, de la translucidité qui sera celle d’un regard, sculpté-sculpteur, engageant de mon regard admirateur face à un corps…
Sylvie Koechlin s’abstient de travailler certaines parties de ses sculptures, laissant la matière brute, native, exprimer sa puissance antérieure, sa pesanteur d’origine. Ainsi apparaît un corps à corps, un corps à esprit, de la matière avec le désir de l’artiste. Un duo, plus qu’un duel, de la roche et de la volonté créatrice.
Ce qui peut faire penser au « non finito » d’un Donatello, d’un Michel-Ange, par exemple, ou d’un Rodin, même si l’inachèvement des uns et des autres n’a pas la même signification.
Chez Sylvie Koechlin, cet inachevé révèle parfois une dualité dramatique entre, par exemple, la plénitude lisse du jour, et la rugosité angoissée de la nuit… une sorte de Yin et de Yang intemporel…
Ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, de créer quelque chose qui échappe à la matière, un visage aux yeux clos, nourri de lumière intérieure, le ruissellement silencieux d’une flopée de poissons, les pleins et les déliés d’un corps ou de deux corps, les mythologies homériques, l’amour, la mort, terriblement humains. Plénitude, énergie, tendresse, intensité spirituelle, autant de luminosités offertes à l’optimisme.
Ce qui intéresse Sylvie Koechlin, c’est la vie, celles des éléments, l’air, l’eau, la terre, c’est le haut relief d’une humanité, qui rejoint l’au-delà, oublie ses limites, et fait partie de la légende. C’est un mode de beauté, de grandeur humaine, où les dieux de la mythologie sont les fraternels des humains.
Son œuvre d’art est un chant de sirènes.
À nous de nous laisser séduire par ce travail qui avoue ses martèlements, par cette vie qui anime la matière. Par ce mariage de la dureté matérielle et de la tendresse sentimentale, qui devient sous nos yeux la beauté artistique.
Ce qui surprend d’abord quand on regarde une toile de Thierry Lefort, ce sont ces à-plats de couleurs, qui ne prétendent pas créer l’illusion de la perspective. Le discret bruissement des couleurs entre elles, l’entente, la complicité de la ligne et de la forme, de l’espace et du volume, de l’observateur et du silence.
Tout cela crée une harmonie, une architecture, une unité, une simplicité majeure, qui en dit plus long que la reproduction d’une foule de détails réalistes. C’est l’esprit d’un lieu qui en sort gagnant.
Si Thierry Lefort fait jouer la lumière sur un corps de femme, c’est pour en épouser les contours, chastement, amoureusement. Le trait noir qui cerne certains de ces galbes fait penser à une pensée qui s’attarde dans un creux, dans un contour discret. Ses portraits sont des visages sculptés pour que le trait, la couleur, les incertitudes même des contours fassent monter la pensée du modèle, et rejoignent celle du visiteur, alors que la lumière intérieure affleure, comme si le visage était sculpté dans quelque matériau docile. J’aime ces yeux des modèles. Ils se laissent regarder en même temps que leur pénétration me dévisage. Quand il peint son atelier, cela se révèle un lieu de métamorphoses. Ses visiteurs sont des apprentis que l’art viendra sortir d’eux-mêmes, comme ici, dans cette Galerie d’Art.
Il est bon d’oublier le temps, les tâches prosaïques et d’entrer en connivence avec le monde de l’art. Les natures mortes de Thierry Lefort expriment le respect de l’artiste pour la vie, même quand le français parle de « nature morte », terme ambigu, voire scandaleux. Un tableau qui représente des fleurs, des fruits, des poissons, un lapin écorché, un crâne, n’a rien de mort quand la peinture l’anime d’une composition, d’un équilibre, d’un jeu savant de couleurs et d’ombres, de miroitements et de réflexions sur la vie et le temps. On préfèrerait parler de nature silencieuse. De nature humble, qui parle à sa façon. Les vieux « rangers » de Thierry Lefort, frères des vieilles chaussures de Van Gogh, nous parlent de la vie laborieuse, pénible, de ce parcours du combattant qui est celle de tout créateur.
En cela, nous leur devons le meilleur de nous-mêmes, le respect, l’émotion, ce qui nous rassemble ici ce soir.
MICHEL LAGRANGE (Discours du vernissage de l’exposition samedi 25 août 2018)