Philippe Desmonts & Norbert Joblin

NORBERT JOBLIN  par  MICHEL LAGRANGE

  À première vue, les sculptures de Norbert Joblin peuvent choquer voire rebuter les visiteurs d’une Galerie. De même que celui qui a été conditionné par les rythmes mozartiens se trouve peu capable d’apprécier la musique contemporaine et ses dissonances, ses chaos rythmiques, son absence de ligne mélodieuse, de même celui qui a été habitué à l’art classique, à la sculpture de Michel-Ange ou de Rodin aura du mal à percevoir ce qu’il y a d’attirant dans ces figures tourmentées, qu’on dirait taillées à la tronçonneuse.

De telles sculptures n’auraient pas été possibles aux siècles passés. Pourquoi ? Parce que l’on croyait encore, au XIX° ou au début du XX° siècle, à l’image harmonieuse de l’être humain, à son caractère inaliénable et sacré. Deux guerres mondiales ont modifié tout cela. Et Freud, en révélant nos obsessions sournoises.

Aujourd’hui, il est difficile de croire en la beauté, en la bonté de l’homme. En son caractère divin. Toute une littérature l’a montré errant, nauséeux, erratique, absurde. Sartre, Ionesco et Beckett l’ont portraituré de façon caricaturale. Et la peinture également, expressionniste souvent.

Les figures de Norbert Joblin traduisent ce qu’il y a de dramatique, de tragique dans notre condition humaine. Ce sont des gueules cassées, des totems qui ne croient plus à l’héroïsme et au dépassement de soi.  Des aveux de notre temps contemporain, plein de bruits et de fureurs. Ces sculptures sont les miroirs à peine déformés de nos souffrances, de nos angoisses et d’une réalité plombante et fracassée.

Le miracle, c’est que ces œuvres dures, impitoyables, sécrètent leur propre beauté, non conforme à l’esthétique classique évidemment, mais fidèle à l’accélération, à la brutalité de notre époque. Une beauté rude, coup-de-poing, fascinante, à la hauteur de l’homme d’aujourd’hui. Mais qui semble aussi émaner d’une époque d’avant l’histoire, d’une sorte de préhistoire, lorsque l’homme tentait de se représenter dans un style archaïque. Un style reconnaissable au premier coup d’œil. Une œuvre quasiment intemporelle et d’une actualité brûlante, qui nous parle de notre condition humaine brutale et pathétique, orageuse et naïve, victime plus qu’agressive au cours d’une guerre dont on entend au loin retentir les souffrances.

PHILIPPE DESMONTS  par  MICHEL LAGRANGE

Là aussi, le premier regard peut se rebuter devant ce qui apparaît comme un chaos sans forme. Mais le premier regard n’est jamais le bon quand il s’agit de pénétrer la profondeur énigmatique d’une œuvre d’art. Il faut s’ouvrir au mystère et se laisser porter par ce qu’il y a de visible… et d’invisible.

Il est question dans ces toiles, qui semblent sculpturales, de bouleversements, de révélations vitales, de forces dynamiques, telluriques, d’orages, d’espaces bouleversés et bouleversants, de cauchemars en pleine nuit blanche, de jaillissements volcaniques empourprés, à la périphérie de zones consacrées au grand mystère, de corps de femmes iconiques et sacrés, secrets, mêlés aux éléments originels.

Un des aspects les plus troublants de ces toiles, ce sont effectivement ces apparitions de corps dénudés féminins, entre le minéral et le charnel. Des corps qui émergent des profondeurs de notre psyché, qui viennent en force, jaillir, saillir, tenter les soleils minéraux. Un érotisme porte ces nudités au cœur de nuits trouées par des éclairs. Des nudités dont le sang n’est pas étranger à nos fantasmes. Des nudités dont le rouge et le noir jalousent les ampleurs incandescentes. Autant de violences silencieuses autour de l’origine du monde, l’alpha et l’oméga de nos désirs impatients, de nos propres démons.

Au-delà de cet érotisme, il faut porter son attention sur le fait qu’il s’agit d’une création intellectuelle et sensuelle, d’une « cosa mentale », d’une toile enduite de peinture à laquelle le peintre donne du relief, de l’épaisseur, de la matière en quête de dynamisme, de couleurs affrontées, d’unité supérieure, bref, d’une œuvre d’art qui signifie, qui porte son sens et que chacun peut interpréter à sa convenance, selon la conviction de ses yeux sensuels et spirituels.

Une œuvre d’art en soi, abstraite juste ce qu’il faut pour que nous soyons libres de la parcourir et de la recevoir, grâce au meilleur de nous-mêmes. Une œuvre d’art, vivante, unique, capable de métamorphoses, car riche de lectures plurielles.

Ainsi devons-nous être attentifs aux intentions, aux aveux du peintre, quant au choix des couleurs, des formes, de l’épaisseur de la matière, des assemblages audacieux de teintes et de reliefs… Ainsi naît une peinture qui trouve sa finalité dans ses assemblages jamais fortuits, toujours voulus. Ainsi une œuvre d’art est-elle parfois plus grande et plus profonde que le geste qui l’a créée, que le regard qui la parcourt, et qui doit découvrir tous les pouvoirs secrets de sa vie intérieure.