PASCALE ROUILLOT

 

Le MOT de MICHEL LAGRANGE

Il y a dans cette exposition deux sortes d’œuvres, selon le support utilisé. D’abord, des toiles, classiques je dirais, silencieuses, colorées tendrement, aux gestes ralentis, aux scènes de rues d’un continent proche et lointain. Et puis, d’étonnantes peintures sur plaques de métal.

Des plaques de fer, toujours rouillées, trouées, parfois déchiquetées, venues d’un autre temps, des plaques laissées pour compte, laissées pour conte… de fée au quotidien. Des plaques sauvées du rebut, devenues par la volonté visionnaire de l’artiste un substrat puissant, le trésor des humbles, le miroir d’un imaginaire respectueux et généreux, un support sacralisé, vivifié, qui se met à respirer au rythme des scènes représentées. Il n’y a plus de plaque usagée, il y a une matière originelle ennoblie par l’artiste.

Il s’agit de la récupération de métal sans doute fort ancien, vu son état d’érosion, de rouille, de mousses, de déchirures. Quelque chose de ruiniforme, comme certains marbres que l’on peut lire en tant que suggestions pour notre imaginaire. Quelque chose d’antique, comme ces fresques de Pompéi ou d’Herculanum. Ces plaques, quand on les touche, résonnent, rendent un son métallique qui ajoute au mystère. Les mousses qui fleurissent sur ces parois obscures sont en elles-mêmes des œuvres d’art naturelles que l’artiste exploite et fait vibrer au rythme des scènes qu’il a peintes. Les mousses, ce sont le temps, les fleurs, les arbres et les scènes de rues, ce sont l’espace. Le temps ainsi associé à l’espace crée une profondeur, une mise en perspective. Les déchirures au rebord des plaques sont moins de la dentelle que des frissons d’espace et tremblements du temps.

Humilité du matériau, familiarité de la scène peinte, alchimie de la beauté nouvelle. On dirait qu’un nouvel orient éclaire les enfants de ces rues. Quelque chose exotique échappée de mémoire, scènes des rues d’ailleurs, collages, journaux périmés, autant de rêves à haute voix, à l’écoute d’un monde à sentir, à rêver, autant de suggestions pour notre imaginaire. On dirait des éclats de vie échappés d’une poétique au quotidien des songes.

Une sorte de fraternité nous relie ainsi peu à peu à ces personnages issus de clairs-obscurs rêvés. Une sorte de pureté, je dirais d’innocence, comme si la simplicité du matériau de base imposait une simplicité d’œuvre d’art et de cœur. En même temps, ces ciels carbonisés, ces terrains noircis, ressemblent à une catastrophe, aux lendemains d’un bombardement atomique, alors que la vie reprend son cours. Force et fragilité de concert nous regardent.

Pour en finir, je dirais que de ces éléments, qui se conjuguent avec bonheur, naît une vraie poésie. Une pénombre indéfinie qui devient profondeur, une altération de la surface qui devient mystère et magie. Je me souviens que Léonard de Vinci voulait que l’on observe les taches sur les murs anciens et que l’on y découvre un spectaculaire créateur de beautés inouïes. C’est ce que fait Pascale Rouillot avec ces antiques supports.

Ainsi, de ces œuvres naît une sorte de bonheur tranquille, serein, fragile et apaisé, loin de l’expressionnisme à la mode désespérée d’un certain art contemporain. S’il y a de la décadence ici, étant donné l’état du matériau de base, elle est sublimée par la grâce de l’artiste. Et cela nous transporte en beauté et cela fait du bien !                 Michel Lagrange.   7 janvier 2023