MICHEL HENRICOT – DOMINIQUE DESORGES – JUAN-CARLOS CARRILLO

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Le MOT de MICHEL LAGRANGE

Fierté de présenter trois talents immenses. Que les Châtillonnais en soient conscients. Ce sont des « pointures » de haute volée internationale.

MICHEL HENRICOT

Ce qui frappe, bouleverse, dans les peintures de Michel Henricot, c’est leur pouvoir révélateur de l’Irréel, ou plutôt de l’Invisible. Ce que nos yeux raisonnables et coutumiers des apparences ne peuvent plus percevoir.

L’Impensable est partout présent dans ces expressions de l’Au-Delà. Une réalité autre se manifeste à la façon d’un théâtre solennel, antique, tragique. Dans la mesure où le théâtre d’Eschyle par exemple met l’homme face à ce qui le dépasse, l’emporte, le condamne ou le transcende.

Un théâtre sublime, voilà ce que nous proposent les œuvres de Michel Henricot. Il crée des apparitions, il donne vie à ce qui ne peut exister que grâce à l’art pictural. C’est la magie de la création artistique que de nous tirer hors des sentiers battus de la réalité apparente, de traduire nos sentiments les plus profonds, nos angoisses et nos espérances. Des paysages déserts, reflets de notre absence, de notre déréliction. Une cendre de nos mémoires.

Chez Michel Henricot, on devine les arcanes de notre temps, les angoisses de l’homme abandonné par Dieu, ou ayant renoncé aux chemins de Dieu, on découvre des parcours secrets, des croyances ensevelies sous les ronces du refus ou de l’impuissance, on prend acte des forces de la nuit, de la mort, du Mystère de l’Au-Delà.

Il s’agit d’une expérience religieuse, au sens étymologique du mot, qui nous relie à ce qui nous dépasse, à quelque dieu inconnu…

L’artiste ainsi nous représente un univers sacré, grâce à une vision haute en couleurs, forte en convictions, sûre de ses révélations. Une autre Création est en chemin, entraînant l’être humain, livré pieds et poings liés à des forces chthoniennes. Comme dans les plus anciennes mythologies. On devient spectateurs fascinés d’un cérémonial, d’un rituel impeccable.

Les corps mis à nu vont en glissant vers on ne sait quelle issue. Il n’est pas sûr que dans cet Au-Delà le gisant repose en paix. Qu’importe ! Son corps est devenu le réceptacle d’un poème sacré.

Cette force de persuasion est sans doute le meilleur privilège de l’art. Exprimer le monde de l’Irréel, faire de la peinture « une poésie qui se voit » selon les termes de Léonard de Vinci.

Créer une harmonie à partir de l’informe, de l’inconnu, donner au Mystère ses lettres de noblesse, ses majuscules. Ses lettres et son esprit.

Ce qui ferait penser qu’une galerie d’exposition, un musée, un palais, ne seraient pas les meilleurs lieux pour faire vivre de telles œuvres, destinées plutôt à des sépultures souterraines, des hypogées comme en qui concerne les fresques égyptiennes. Dès lors, la chambre des morts est un lieu idéal.

Faire accéder le vivant et le mort à une sorte d’éternité, n’est-ce pas le but des œuvres d’art ? Créer des formes picturales, poétiques, sculpturales… grâce auxquelles le mort dont je m’empare ne sera jamais anéanti comme cadavre, mais une figure promise à l’éternité, à un salutaire « anti-destin » si cher à André Malraux.  Voilà pourquoi mon dernier des 9 poèmes s’intitule « Une Vie Nouvelle » (remise des textes)

DOMINIQUE DESORGES

Ce qui surprend d’abord en regardant les œuvres de Dominique Desorges, ce sont les contours souvent nuageux, incertains, erratiques, qu’il donne à ses peintures. (Ce n’est pas un hasard. Il n’est pas scandaleux de s’occuper des cadres, au lieu des œuvres mêmes !) Car ici, les formes dépendent des contenus autant que l’inverse est vrai. Desorges sort délibérément des cadres rigides, des formats programmés, parce que sa vision n’appartient pas à l’esprit de géométrie. Son univers est un « dé-lire », une « sortie des sillons » traditionnels. Un univers en expansion comme le magnifie le big-bang de sa Création du monde, au centre de laquelle trône un Dieu en majesté… À partir de laquelle se forment des univers en constante gestation. Alliance de la foi et de l’astronomie, des espaces infinis de Pascal et de l’aventure spatiale contemporaine. Union de la confiance et de la peur aussi.

Quand il peint les abysses, on sort encore de l’ordinaire, on entre dans le fantastique, dans le légendaire. C’est Homère revu et corrigé, avec ses sirènes, ses tentations, ses appels silencieux, ses dragons donnant la vie au phénix. Le fantastique est réel ici autant que la réalité est ouverte aux fantasmes. Les chevaux qu’il nous montre sont bien les créatures des cauchemars, nés des eaux troubles de notre inconscient.

Les matériaux de ses décors ne sont jamais inertes, les règnes s’interpénètrent les uns les autres. La pierre ouvre les yeux. Les vivants et les morts se côtoient, ils dansent ensemble. La mémoire et l’imagination vont de concert en silence unir leurs pouvoirs de magie blanche et noire. Toujours sans contours définis. L’espace et le temps sont en révolution. Hier et demain ne sont plus des repères. Le grand perdant de ce « délire », c’est la raison. Le grand gagnant, c’est l’imagination, celle du créateur et la nôtre, si tant elle qu’elle soit aux

aguets. Le sommeil de la raison engendre des monstres, gravait Goya. Dominique Desorges apprivoise ces monstres pour notre bonheur de voyageurs-pèlerins. Il fait se côtoyer les Andes et la vallée du Nil… ( ce qui ne saurait déplaire à Juan-Carlos Carrillo) .

Comment pourrait-on peindre des vertiges autrement que de façon vertigineuse ? Et le grand miracle, c’est que ces plongées dans l’au-delà sont admirablement belles, par une technique qui transforme les échappées mythiques en résines reluisantes, en laques éblouissants.

Émouvant aussi son hommage aux Maîtres, aux Tutélaires, auxquels seul un véritable artiste sait tout ce qu’il doit de sa création personnelle. Ce qui n’empêche pas les clins d’œil de complicité affectueuse.

Le miracle de cette merveilleuse exposition, ce sont aussi les échos que l’on peut trouver entre les visions de Desorges et celles de Michel Henricot. Des visions extra-ordinaires, excitantes autant que déstabilisantes.

JUAN-CARLOS CARRILLO

Ce grand artiste, abonné à notre galerie, nous présente aujourd’hui des sculptures en « papier-mâché ». D’abord, je n’ai pas aimé ce terme ambigu qui paraît déplacé par rapport à ce que doit être la noblesse d’une œuvre d’art : aristocratie du matériau, durée de sa vie hors du temps…

Le papier mâché m’évoque ces potaches collégiens amateurs de boulettes de papier mâchouillé clandestinement, dont ils faisaient des projectiles aux dépens du plafond, du tableau noir ou de la blouse de l’enseignant !! Ou je pense aussi aux nids des guêpes, obtenus par l’accumulation de fibres végétales, mâchées, diluées et transformées en pâte (il y a peu de l’arbre au livre) qui se durcit et se transforme en alvéoles aux teintes admirablement subtiles d’un camaïeu naturel.

Un artiste privilégie le sérieux de l’intelligence, et l’originalité de sa création. Carrillo oublie les pierres, les terres cuites, les marbres, les bois, traditionnels et se tourne vers le papier mâché. Pourquoi ? Pour sortir des sentiers battus ? Pour innover ? Je dirais plutôt pour créer quelque chose qui représente l’être humain dans sa vulnérabilité, dans son impermanence. On l’a bien vu quand Juan-Carlos a sculpté ici-même un corps humain selon les mouvements d’un modèle vivant, avant de le détruire… non pas le modèle, mais l’œuvre ! Il sait ce que la vulnérabilité de l’homme signifie en nos temps erratiques et sans pitié.

Aujourd’hui, nous regardons des hommes, des femmes, on dirait nouveau-nés, fragiles, en attente d’ils ne savent pas quel avenir.On dirait les copeaux de corps qui ont subi le désespoir. Et s’en relèvent.

Les statues présentées, ce sont des noirs, rescapés de la mer, migrants, veilleurs, guetteurs, comme les naufragés du Radeau de la Méduse. Ils sont si minces, si ténus, si fragiles, si transparents, qu’ils sont la proie du vent mauvais de la mer et des hommes. Des ombres blanches, couleur d’une âme en pureté, couleurs des ombres sur les murs d’Hiroshima.
Avant qu’ils ne soient accrochés par Carrillo à ces semblants de mâts, je les ai vus d’abord couchés par terre et sur la table! Quelle différence, entre ces gisants à l’horizontale, ballotés par l’écume, morts sans doute, et ceux qui se dressent maintenant à la proue de leur espérance ! Ressuscités face au vent, face à l’espoir, face au Destin.

Peut-être des rescapés de l’univers de Michel Henricot ou de Dominique Desorges… Libres, vulnérables, en cela émouvants, nos frères humains tout droit sortis de la sensibilité de Juan-Carlos Carrillo.    Et ils sont beaux parce que fraternels, sur le qui-vive. Et ce sont aussi des chefs-d’œuvre.

Un dernier conseil : vous ferez très attention quand vous sortirez de cette Exposition. Le choc que vous avez éprouvé ici au contact de la Beauté devra subir la banalité de la rue, et ce ne sera pas forcément facile !! Des couleurs à la grisaille, comme quand on ferme un polyptique !

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