MARIA MATOKHNIUK & JEAN-PAUL MÉLINE

MARIA  MATOKHNIUK

Il y a dans l’histoire de l’art deux courants qui s’opposent sur un point bien précis. Le romantique Sainte-Beuve est le partisan de la biographie pour s’approcher d’une œuvre. Selon lui, il est nécessaire de connaître la vie d’un auteur, ses mœurs, comme autant de sources pour la compréhension de son travail. À l’opposé, Marcel Proust affirme qu’une œuvre est indépendante d’une vie d’auteur, et que l’œuvre doit être appréciée pour elle seule.

Face à une artiste ukrainienne comme Maria Matokhniuk, on peut s’interroger. Quelle part représente son pays d’origine dans l’élaboration de son travail de peintre ? Ses œuvres récentes, nées après le début de la guerre en son pays, en portent-elles la trace ? Est-il nécessaire de savoir son histoire pour comprendre son œuvre ?

Ce qu’elle nous présente ce soir, ce sont des paysages de belle sérénité. Des paysages hauts en couleurs, paisibles, banals en apparence. Des paysages de paix, de lumière. Ce qui révèle un esprit amoureux de la vie.

Ce sont des peintures qui ne reflètent pas les atrocités subies par son pays natal. Des œuvres qui ne sont pas des miroirs d’une situation ressentie, vécue, mais des fenêtres ouvertes sur le grand large, celui de l’oubli, de l’évasion, de l’offrande de l’infini à nos regards aimants. Qu’il s’agisse de ciels profonds, gris, orangés, pommelés, de soleils levants ou couchants, c’est la liberté et la sérénité que Maria chante et enchante. Même nos paysages châtillonnais sont revus et corrigés par une dose de tendresse et d’infini.

Maria s’apparente aux impressionnistes, tant elle veut traduire en couleurs les impressions que la beauté naturelle exerce sur sa sensibilité de femme. Cela est d’autant plus précieux qu’aujourd’hui est propice aux angoisses des expressionnistes qui projettent sur la toile leurs malheurs vitaux. Dieu sait si notre époque est propice aux douleurs ! C’est dire le prix que cet hommage à la beauté des choses révèle à nos cœurs.

Il y a dans les peintures de Maria une trilogie de la création qui est : l’authenticité, l’amour et la poésie. Ce que l’on retrouve dans toute création sincère, qui part du cœur pour se transformer en hommage vital. Une forme de simplicité sans fioritures, de tendresse naturelle, qui est l’élan de l’esprit face aux trésors de la nature, la plus banale à première vue, la plus précieuse opposée à la mort.

MICHEL LAGRANGE

JEAN-PAUL MÉLINE

Les qualités dont j’ai parlé concernant l’art de Maria, on peut les retrouver dans les œuvres de Jean-Paul Méline avec un élément supplémentaire : l’humour, le sens de la facétie et du gag.

La transformation de données brutales, réalistes, fonctionnelles, prosaïques, en œuvres d’art demande une imagination « délirante » étymologiquement « qui sort des sillons » de la raison raisonnante.  Comme Léonard de Vinci voyait des villes, des personnages dans les taches des murs décrépis, Jean-Paul « voit » des objets hors du commun, des choses familières dans les outils que chacun ne fait que manier. Il métamorphose la réalité basique en une œuvre originale et spirituelle. C’est de la poésie humoristique ; comme celle d’un Jacques Prévert ou d’un Robert Desnos, car on pourrait parler de surréalisme dans, par exemple ces trois mains venant du vide, accrochées dans l’espace, faisant tenir leur propre pesanteur dans un non-sens à la Escher ; ou cette lectrice prise en tenaille dans la lecture d’une lettre qu’on suppose d’amour ;c’est en quelque sorte « dérouiller » le fer tout en le maintenant dans son état premier, mais dépassé, transcendé, sublimé. Naissent des couples, des solitaires, des aventuriers, des personnages qui nous ressemblent ou incarnent nos rêves. Des parties de sculptures en bois d’olivier, de tilleul, de thuya… chauffent la matière du métal et nous la rendent plus sympathique encore, plus fraternelle. Des œuvres pivotantes jouent aux équilibres, sur des pointes d’ironie ; le lièvre ainsi tombe pile sur la tortue voleuse d’énergie… Il y a un art de funambule de Jean-Paul avec l’existentialisme du gag. Jeux de mots, jeux de matière, jeux d’esprit, ce sont des œuvres qui font rire ! Et cela est rarissime. Le sculpteur ne se prend pas au sérieux, ce n’est pas l’enfance de l’art, mais l’art de l’enfance.

Et un art de culture aussi. Mine de rien, on peut saisir des clins d’œil à Colette avec Kiki-la-Doucette, à Camille Claudel quand une femme agenouillée déplore sa déréliction dans ce radeau de la Méduse évoquant Géricault…

Et que dire de cette « déclaration du graffeur qui aime les mathématiques », quand on peut transformer une formule algébrique avec racine carrée en déclaration d’amour et d’humour…

Rien n’est statique ici, tout est en mouvement. Tout est affaire de tendresse, de délicatesse, d’amour, de naïveté, au sens le plus noble du terme.

Là non plus, il n’est pas besoin d’établir une abondante biographie de l’artiste. Savoir qu’il est « du métier », que travailler les métaux fait partie de ses savoirs suffit pour l’imaginer rêver en plein travail et donner le champ libre aux matériaux qu’il travaillait, mais qu’il investit d’une mission nouvelle : nous faire sourire, rire, rêver, partir en voyage.

Ainsi, Jean-Paul Méline est-il l’as du fer-valoir en ses métamorphoses.

MICHEL LAGRANGE