Jeanne Saint Chéron – Richard Brouard

JEANNE SAINT CHÉRON  par  MICHEL LAGRANGE

« Il était une fois », tel est le temps dont parlent les tableaux de Jeanne Saint-Chéron. Un temps de poésie contée dans les couleurs de la robe du temps, telles que Charles Perrault les distribue dans « Peau d’Âne ». Un temps de Mostra vénitienne, festive, florale et féérique.

Jeanne Saint Chéron nous offre un univers ambigu, « à cheval » sur deux univers, sur deux continents. Celui de la réalité prosaïque, quotidienne, touristique, et celui merveilleux du rêve. S’il est question de chevaux, ils viennent d’une chorégraphie circassienne, mais, mieux encore, d’une féérie légendaire, où les chevaux portent les ailes de Pégase, ont des parentés de centaures amicaux. On n’est pas tant dans le cirque d’Alexis Gruss que dans la mythologie des apparitions. Dans des contes à dormir debout, les yeux ouverts de somnambule contemplant des beautés, se demandant si elles sont véridiques ou irréelles. On est entre deux eaux, accueilli généreusement par des naïades, des ondines bienveillantes.

    Tout est en apesanteur ; même les couleurs n’osent pas se prononcer fortement, là où les lignes refusent la rectitude sévère. Il y a tout un art du jeu dans ces peintures qui ne se prennent pas au sérieux. Leurs couleurs mêmes sont apaisées, gris cendré, reflets d’un bleu azuréen, ocre doré, rouge amoureux. Elles sont les suggestions d’un univers transparent, onirique. Il y a dans cet univers une légèreté qui est une apesanteur, une absence d’ombres qui est une lumière, une élégance qui est une grâce, une naïveté qui est une enfance. Quelque chose d’aquatique est en suspension ; ce monde-là apparaît amniotique, amical, innocent, fraternel, et rime avec « intemporel ». C’est le cirque d’hiver et l’opéra Garnier réunis de concert.

Même lorsque Jeanne Saint Chéron peint des guerrières, ce sont des sylphides, les génies d’un monde aérien, les amazones d’une parade hollywoodienne, où les visages sont ceux de Leslie Caron ou d’Audrey Hepburn, plus que des barbaries belliqueuses. On parlerait d’érotisme innocent, de célébration du bonheur de vivre.

Reflets mouvants d’un carnaval vénitien, musique d’ultrasons qui font plaisir à l’âme. Et quel bonheur de circuler dans l’innocence et la beauté festive ! Comme on est loin de nos pesanteurs affolantes, et comme l’art ici joue son rôle bienfaiteur d’évasion, de luxe, de calme et de volupté rares !

RICHARD BROUARD  par  MICHEL LAGRANGE

Il y a dans les peintures et les sculptures de Richard Brouard une abstraction lyrique qui pousse les formes à entamer une chorégraphie sans pesanteur. Cela chante et danse, avec la sympathie pour l’univers que l’on retrouve chez les derviches tourneurs, à l’écoute de l’harmonie cosmique. Ce sont des fulgurances, des apparitions dans la nuit, des vocalises visuelles, car il existe quelque chose de sonore dans ces élans de parenthèses échevelées. Une calligraphie de l’Orient qui oublierait nos platitudes. Une chorégraphie des sphères, à l’opposé de notre pesanteur terrestre. Un univers en suspension entre deux eaux, celle d’un océan dont émergent les hippocampes, animal-fétiche du sculpteur, l’hippocampe symbolisant l’amitié de l’élégant univers océanique, comme un point d’interrogation posé à la verticale par nos questionnements. Les autres eaux sont celles des constellations suspendues dans le ciel, dans un univers en croissance continue. Le chant des sphères en quelque sorte.

    De la peinture à la sculpture, il n’y a chez Richard Brouard qu’un pas, qu’un geste de la main qui lance dans l’espace ce qui vibrait à la surface de la toile peinte. Là, dehors ou dans l’intimité, le vide et le plein se répondent au profit de l’élan spatial, de l’essor, de l’intime ou du monumental. Chez cet artiste, la spirale est une sphère qui se déroule comme une orange que l’on pèle, nous emportant dans le tourbillon de la vie, en ascension dynamique. Et l’on a vite fait de perdre ses repères face à une sculpture qui laisse passer le temps et recueille l’espace. Une œuvre qui nous interroge et nous laisse libres d’y poser nos propres repères.    Car l’espace appartient au sculpteur qui le conquiert en y installant ses œuvres, qui l’ignore en lui imposant ses volumes, qui nous passionne au nom de l’art spatial. Quant au temps, l’artiste travaille à le dompter, pour atteindre un espace au-delà des limites temporelles, un espace dédié à la beauté qui résulte de la lecture que l’artiste fait de ce qui l’entoure et qui le dépasse.

Ainsi, les sculptures et les peintures de Richard Brouard sont une invitation au voyage. Il est un musicien de l’espace. Chez lui, il n’y a que trois dimensions : la profondeur, l’altitude et la beauté. Le plus souvent en rouge et noir, qui ne sont pas des couleurs anodines. Mais souveraines.