GABY KRETZ – MURIEL FERSTENBERG – WALTER CIANDRINI

MURIEL FERSTENBERG

Quel âge, quelle réalité ont les personnages peints par Muriel Ferstenberg ? On les dirait sortis de je ne sais quels limbes, ectoplasmes enfantins, inachevés ou passés-outre leur développement. On les dirait absents-présents, esprits des tables rondes ou du chapiteau d’un cirque fantôme et cruel, ou d’une paroi rupestre où ils nous attendent, intemporels, peut-être appelant au secours. On dirait quelquefois qu’ils rêvent de devenir des oiseaux de passage. Oniriques, illogiques, libres, circulant dans les limbes, exécutant une chorégraphie de sentiments triés sur le volet de couleurs irréelles.

C’est notre condition humaine, grotesque autant que sublime, qui ne se prend pas au sérieux, et qui demande pardon à l’Ange de feu ou prend part au carnaval des gesticulations, dans une apesanteur drôle et dramatique à la fois. Un concerto pour solitude et oiseaux migrateurs.

Il y a de l’angoisse dans ces vertiges, on dirait hitchcockiens, cauchemardesques. Ce sont des personnages qui n’ont pas eu le temps de se réaliser, ou que la vie a tourmentés, rejetés au bord du spectre vital.

Ce qui est émouvant dans ces graffiti sur les toiles, ce sont nos sentiments qu’on reconnaît, avec compassion. Ce sont nos versants saturniens, lunaires, désastreux. Mais il n’y a pas l’ombre d’une méchanceté dans cette naïveté savante. Car c’est de l’homme qu’il s’agit, de vous, de moi, de nous.

MICHEL LAGRANGE

WALTER CIANDRINI

Ce peintre trace des silhouettes en échos qui se multiplient pour insister sur leur réalité, qui est fenêtre ouverte autant que miroir. Des bustes, des têtes, des groupes, en faux à-plat qui exprime un relief, celui des sentiments autant du peintre que des personnages. Contours tremblants, sinueux, qui émanent du corps autant que de l’esprit. Il y a des à-plats qui valent des points de fuite et des illusions de profondeur.

Ce sont des variations à partir d’un style et d’un camaïeu de couleurs ocre rouille et lumière.

Il y a dans ces apparitions une tendresse souriante, accueillante, et vulnérable. C’est le tremblement du temps qui agit sur des êtres de tension délicate, voire douloureuse.

J’avoue avoir quelquefois pensé, en regardant ces corps dont les contours sont d’une grande pureté, aux personnages d’Egon Schiele, la morbidesse en moins.

Ils nous regardent en silence et leur bouche close ne nous dira rien, ou plutôt nous parlera en ultrasons de l’âme. De leur âme à la nôtre il n’y a qu’un trait d’harmonie. Sans titre ni limitation. Des apparitions, des archétypes, où la finesse s’allie à la constance, la vulnérabilité au sérieux d’exister en gestes retenus.

Et il y a dans ces silhouettes quelque chose de musical, dû sans doute à la délicatesse du trait qui les anime, quelque chose d’enfantin et de savant. La vie réduite à l’essentiel. On retrouve d’un portrait à l’autre le même style qui est la signature de l’artiste, sa vision de l’être, sa vérité. Autant de variations sur un thème donné. De ces répétitions naît quelque chose de lancinant, une Présence majuscule, comme des mêmes gestes naît un rituel. Les portraits d’états d’âme et de nos corps de rêve, au-delà du visible.

MICHEL LAGRANGE

GABY KRETZ

Il y a dans l’art de Gaby Kretz une magie, celle de la présence, celle qui fait de mannequins sculptés des vivants fraternels. L’artiste modèle en relief les émotions d’êtres humains et cela nous émeut. Une fraternité humaine intuitive est présente ; très peu de solitude, une méditation unique ou à plusieurs, car le besoin d’être ensemble pousse ses personnages à ne pas rester seuls. Ce ne sont pas des mannequins figés, raidis par leur importance, mais des compagnons de tendresse et de générosité. On se promène au milieu d’eux comme dans une ville accueillante et sereine. On les dirait au Paradis. S’ils sont pensifs, leur esprit n’est jamais chagrin, mais il frémit d’une vie intérieure, sensible et mystérieuse, au gré de leur humanité. Il y a des enfants qui jouent en liberté avec des ballons gonflés d’air. Une innocence.

Cet art est un art du silence et de la vie intérieure. Une méditation, telle que je me rappelle en avoir admirées dans les temples du Cachemire. Un art du recueillement zen. Une intériorisation de l’esprit. Cet art du silence, il me fait penser au bouddhisme autant qu’aux cisterciens, à l’art oriental autant qu’aux sculptures de Jeanclos.

Et cela fait du bien, alors que le monde individualiste est de plus en plus menaçant, égocentrique et bavard. Il y a ici quelque chose de pur et de vulnérable qui nous émeut. C’est un peuple d’argile totémique, promenant les contours de leur âme en silence, et demandant notre affection, au-delà du visible. Car le miracle est que, les contemplant, on oublie qu’ils sont en argile, en matière passive et pesante. Et je ne sais pas ce à quoi je suis le plus sensible, à ses yeux grand ouverts ou à ces regards clos. Car ils sont spirituels, l’un comme l’autre.

MICHEL LAGRANGE