DANIELLE LE BRICQUIR & ALAIN KIEFFER

LES PEINTURES DE DANIELLE LE BRICQUIR

Ce sont des contes à dormir debout que cette artiste peintre nous raconte. Des fableries, des fabliaux, du légendaire en tous les cas. On dirait des enfantillages ! Mais ne vous y fiez pas ! Il n’est pire eau que l’eau qui dort et ces tableaux naïfs m’en disent long pour peu que j’y prête le meilleur de mon âge et de mon esprit. Non pas le sérieux des adultes, des vieux, des raisonnables, des pesants, des empaillés, des logiques, des grincheux. Mais le sérieux des enfants qui jouent, qui regardent, qui croient, qui ne se défont pas des rêveries du cœur. C’est d’un art naïf qu’il s’agit, mais attention, naïveté ne veut pas dire attardement intellectuel ou je ne sais quelle immaturité morbide ! Naïveté signifie savoir premier (comme il y a des arts premiers, qu’on appelait primitifs naguère, avec le mépris des bien-pensants.) Naïveté veut dire pureté du cœur, de l’âme et de l’esprit. Naïveté veut dire connaissance et pureté ensemble. Savoir sans calculer, sans salir, croire sans remettre en question cet imaginaire qui règne en souverain. J’envie la façon dont un enfant croit au théâtre guignol. Sans esprit de sérieux. Et sans péché originel.

Le monde de Danielle Le Bricquir est de ce monde-là. Un univers d’outre-réalité, nourri de légendes et de croyances, prioritairement celtiques. Sans ombre, sans pesanteur, sans autre logique que l’évidence du cœur. On est dans le conte-et-légende. Dans le temps béni où « il-était-une-fois » rend tout possible. Les animaux et les humains, cœur à cœur, au pays des merveilles, au château des métamorphoses, en liberté totale. En humour, telles ces sorcières au Salon des Arts ménagers, laissant les vieux balais dans les placards du Moyen-Âge… en prémonition, tel ce bal masqué devenant, par l’ironie du sort, un concerto pour coronavirus.  Un monde interdit aux adultes sans doute, un univers festif, l’anti-destin de nos malheurs et de nos barbaries. Peinture en fête, et sans frontières. Poésie de la tendresse et de l’innocence. Magie, dont on voit bien qu’elle est de toutes les couleurs, à l’opposé des magies noires et de nos pensums quotidiens. Ill n’y a pas de paradis perdu puisque je l’ai devant mes yeux, et dans mon cœur !

C’est un des secrets de l’artiste cette permanence d’un regard d’enfant servi par le savoir-faire magistral d’un adulte.

C’est ce qui paraît unir l’art de Danielle Le Bricquir et celui d’Alain Kieffer. L’esprit d’enfance ! Une naïveté calculée, maîtrisée, victorieuse. Par exemple, voici un dieu sculpté cornu que l’on retrouve dans une peinture de Danielle Le Bricquir, le dieu celtique Cernunnos… Un troublant jeu d’échos et de connivences.

LES SCULPTURES D’ALAIN KIEFFER

Ce qu’il y a d’original dans ces sculptures, c’est la volonté d’Alain Kieffer de donner la vie à des totems, des représentations païennes… appartenant à une religion … Quelle religion ? on ne le saura jamais. Qu’importe ! Une religion personnelle, vitale, fondée sur la mise en beauté de nos fantasmes.

Alain Kieffer s’est entiché de ces idoles qu’il multiplie selon des variations quasiment musicales. Souvent des dieux cornus, exhibant des attributs qui ne servent qu’à produire une présence, à démontrer une force, en nous questionnant, à notre insu quelquefois.

Cette expression lyrique avec laquelle Alain Kieffer compose de toutes ses forces ludiques n’empêche pas l’œuvre de s’émanciper, de s’unir au mystère qui nous entraîne et nous dépasse.

Créées en tant qu’œuvres d’art, ces statuettes sont belles, énigmatiques, troublantes. S’agit-il d’un art simplement ornemental ?

Ce sculpteur devrait se méfier des idoles auxquelles son art donne l’existence. Il s’amuse à inventer un univers de fiction, avec un vrai sens de l’humour, mais sait-il ce qu’il déclenche ? Sait-il ce dont ses créatures sont capables ?

Je possède une de ces sculptures représentant un buste de dieu cornu, moustachu, au regard vitrifié brillant. Eh bien, ce buste accroché au mur depuis quelques années s’est modifié, a renoncé à son statut d’œuvre d’art, devenant peu à peu une sorte d’idole active. Elle fait partie des murs, comme on dit, elle s’est fondue dans l’atmosphère de ce couloir d’entrée dont elle est devenue la gardienne bienveillante. Ainsi de ces idoles à l’entrée des temples, gardiennes autant que messagères de l’au-delà.

Peut-être parce que, plus ou moins consciemment, Alain Kieffer se rappelle les idoles antiques, primitives, souvent créées à l’autre bout du monde, s’en inspire, il m’oblige, plus ou moins consciemment aussi, à « consacrer » cette statue, à lui donner des pouvoirs qu’elle est en mesure d’accepter. Mon imagination fait ce que le sculpteur voulait : animer l’œuvre, la métamorphoser, la perfectionner, c’est-à-dire, la faire passer du registre de simple création artistique à une réalité mythique.

On reconnaît la réussite d’une œuvre d’art dans la mesure où elle agit sur nous autant que nous sur elle. Et l’on n’est pas loin du sacré.

Michel Lagrange