DANIEL CHANSON

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L’OPÉRA  DES  EUMÉNIDES 

Autant d’apparitions que de mystères.

Quand un artiste ne se contente pas des apparences, il s’en évade soit par le bas, ce qui peut impliquer une mise en lourdeur, en laideur, de la réalité première, soit par le haut, ce qui le porte au niveau de légende.

Daniel Chanson ne choisit pas. Il est voyagé par ce que reçoit, intérieurement, ce fameux troisième œil mystique qui voit des choses et des êtres que nos sens habituels, prosaïques, ne peuvent plus accueillir. Qu’il s’agisse de sculptures, de peintures, de dessins ou d’assemblages voire de montages hétérogènes, des figures apparaissent magistrales, féminines essentiellement.

Ses femmes, sculptées ou peintes dans un matériau assez souple et généreux pour obéir à ses visions, sont nées d’un idéal secret, tellement fort et affirmé qu’il lui impose un style reconnaissable entre tous.

Regardons ces femmes de plus près. Mystérieuses, sorties d’on ne sait quel rêve halluciné, ce sont de Belles Étrangères. Elles concentrent en leurs traits les caractères de l’art africain, les profils grecs, les yeux fendus à l’orientale… bref, elles ne viennent pas d’une géographie banale, exclusive, ne sont pas sorties d’une frontière historique. Elles sont altières, sûres de leur pouvoir, un peu inquiétantes, fascinantes, c’est-à-dire autant redoutables qu’attirantes.

Elles font penser à ces apparitions qui nourrissent les mythologies, à ces êtres héroïques appartenant à plusieurs règnes, qu’Ulysse va rencontrer et dont il va tenter de se défaire. Si ce sont des Madones, elles relèvent d’une contrée païenne. Si ce sont des Sirènes, elles s’expriment en ultrasons, ce qui rend le silence plus inquiétant. Ce sont des « femelles dominantes » devant lesquelles on redevient l’enfant soumis, le passager clandestin de ses cauchemars adorables. Car il y a quelque chose d’onirique dans ces apparitions qui semblent flotter entre rêve et réalité. Le grand art du sculpteur est de rendre crédibles, vivantes, ces apparitions fantasmées. On y croit parce que c’est une mise en beauté de nos images intérieures.

Ce qui est particulièrement remarquable dans le style de ce sculpteur, c’est l’élongation volontaire qu’il fait subir à ses modèles. En cela, il rejoint bien des artistes, à toutes les époques, pour des raisons bien différentes. On pourrait citer, au hasard, les sculptures votives étrusques de Volterra, qui font penser aux corps filiformes de Giacometti, aux femmes dessinées par Jacques Bellange au début du XVI° siècle, ou aux visions du Gréco, ou aux érotiques de Modigliani. Entre autres !

Ne croyez surtout pas que je songe à une volonté de faire à la manière de… Je pense à une sorte de filiation qui pousserait certains artistes à orienter leur vision intérieure vers un allongement des formes qui serait une volonté de sacraliser l’objet dont on s’empare.

Pour ce qui nous concerne aujourd’hui avec Daniel Chanson, ma vision opterait pour cette forme de rituel. Ces madones, ces déesses païennes, trouvent naturel le traitement que leur fait subir le plasticien. Les mettre en état d’apesanteur, en une sorte de lévitation qui fait de nous des gens qui croient en elles.  En leur beauté, qui est leur vérité.  On est à l’opposé d’un art comme celui de Fernando Botero qui se complaît à « massifier » de façon obèse ses modèles.

Il y a une œuvre de Daniel Chanson qui me paraît incarner son esprit créatif, intitulée « Les Muses Océanes », au nombre de trois, appelées Mélété, Aédé et Mnémé. Trois incarnations de la Méditation, du Chant et de la Mémoire, tantôt favorables, tantôt tempêtueuses. Or, les femmes de Chanson se souviennent d’un temps qui est le « il-était-une-fois » des contes et légendes, se mettent à chanter, à enchanter, à tourmenter le monde, et nous invitent à réfléchir. Nous ne sommes que dans l’Utopie de notre inconscient. Dans le labyrinthe de notre intimité, dans le délire de nos fantasmes. Ce que les Surréalistes ont fouillé jusqu’à plus soif ni faim ni perspectives.

Le fantastique de Chanson est l’anatomie de nos peurs et de nos désirs. Soit que la nature elle-même cache en ses plis des apparitions qui sont des elfes, soit que l’artiste dissèque à corps-joie des anatomies, on est environné de « silènes » à demi plantes herbacées, à demi sœurs de Silène, le fameux satyre, en tous les cas propriétaires de nos Odyssées oniriques.

Appelons ces apparitions surnaturelles les « Euménides », autrement dit les « Bienveillantes », de façon à les rendre dociles, au lieu de les nommer les « Érinyes », les redoutables !

                                                                MICHEL LAGRANGE 

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