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FLO.S & SOLENZA 21

FLO.S  par  MICHEL LAGRANGE

Il y eut un moment dans l’histoire de la peinture où l’artiste en eut assez de reproduire un paysage ou un visage humain. La photographie pouvait bien le faire. Alors, il s’empara de ses propres paysages intérieurs, que Freud avait répertoriés, et il se mit à peindre des infra-paysages ou des ultra-paysages, comme il existe des infrasons et des ultrasons inaudibles à l’oreille humaine.      Des paysages mentaux, inaccessibles à la simple raison, allergiques à la moindre explication. Cela demanda au contemplateur de telles œuvres un effort supplémentaire de compréhension, d’acceptation, de subjectivité. Car il ne s’agissait plus de vouloir comprendre, de vouloir insérer de la logique cartésienne là où celle-ci n’existait plus. Il fallait désormais se laisser pénétrer par un univers mental, de sensations, d’émotions, d’inconscience. Même si Flo.s donne des titres à ses œuvres, il ne faut considérer ceux-ci que comme quelques pistes, nécessaires, mais insuffisantes pour se laisser voyager par les couleurs, les formes, devenues abstraites, retirées du courant logique.

Ce sont des coups frappés à la porte des hasards heureux, des couleurs de passe, comme il y a des mots de passe. C’est la face cachée de la lune, là où un ange est mort, là où les voies, ou les voix, du silence me conduisent, en musique intérieure. Ainsi, dans le désert, il faut oublier le charivari des centres urbains, se laisser envahir par le chant du vent sur les dunes, décrypter les hiéroglyphes que laissent les pattes des insectes sur le sable, y aller de gaieté de cœur, se laisser voyager par la couleur de ce qu’on ne voit pas, au gré d’une géologie spirituelle et mystique. Laisser son cœur agir grâce au son du silence, au gré d’un sismographe amoureux de l’au-delà. C’est l’imagination du peintre qui fournit ces images, c’est mon imagination  qui me permet de les décrypter, de les écouter, comme on écoute une partition musicale, abstraite et colorée.

Chez Flo.s, ce sont nos émotions qui sont mises en couleurs. Et libre à nous d’y projeter nos propres émois personnels. Ce sont des hémorragies d’âme qui s’offrent à nous pour la complicité. L’invitation de la couleur ouvre des horizons qu’il nous faut pénétrer, conquérir, reconnaître. Hommage aux éléments que sont la terre et l’eau, le ciel et l’au-delà. Vitraux crépusculaires, vergetures volcaniques, allers-retours entre un ici-bas mis en couleurs, et l’au-delà des reflets mordorés. Inquiétude et sérénité, tels ces panneaux qui semblent des sous-bois, relevant de superstitions médiévales. Ou ces couleurs du ciel ou de l’eau reflétée en autant d’échappées belles. Couleurs, zébrures, empâtements, éclats de l’or, c’est tout un dynamisme qui est à l’œuvre, et qui nous permet une évasion constante, changeante, sonore, multipolaire.

SOLENZA 21  par  MICHEL LAGRANGE

Il y a dans les constructions fantasmées de Solenza un humour évident qui leur donne un air astucieux. Autant d’associations de fragments qui n’avaient rien à faire ensemble auparavant, autant de trouvailles, de révélations surprenantes. D’enluminures, de « cadavres exquis », à la mode surréaliste. Des objets qui n’auraient jamais dû se rencontrer et que Solenza marie malgré eux, poétiquement, et qui s’accordent parce que le marieur en a décidé ainsi, avec une intuition qui fait merveille. Il s’agit de rébus, d’énigmes par les choses, et le tour est joué, et bien joué. Redonner vie à des fragments épars, à quelque chose qui semblait mort et bon pour le déchet, c’est un travail de créateur. Rendre possible l’inimaginable, imaginer l’impossible ; cela donne aux objets une dimension artistique, stratégique et morale. Car la beauté nouvelle-née se veut plaisir de l’œil et de l’esprit. Et cela nous rappelle que si le réel est bien étroit, le possible est immense.

Je dirais que Solenza prend des risques avec la beauté qui émane généralement d’une harmonie donnant à un ensemble de formes son unité majeure. Or, ici, le recyclage oblige l’artiste à multiplier les sources, et les apparences, au risque de découdre la beauté classique, mais de façon baroque. Et cela devient beau, parce que spirituel. Solenza ainsi nous offre un univers magique où tout serait possible et bienvenu, où les moindres objets sauraient acquérir un esprit qui ferait d’eux des plaisantins.

De quoi rêver, délirer, sortir du sillon logique. Le cadran d’horloge sur l’embouchure de la trompette annonce la renommée future. La lampe sur un cep de vigne ouvre à des libertés de clairière. Le violon éclaté sur un miroir sonore, où le fond du silence attend un coup d’archet… De quoi laisser le flot de l’imagination s’emparer de nos vies. Cet arbre creux enchaîné malgré lui, au bas duquel un crucifix flamboie dans sa douleur qui est aussi la nôtre… Inquiétant quelquefois, tel ce Procall Rex, monstre préhistorique en train de divaguer dans les miasmes du temps… Je ne connaissais pas Solenza avant de voir ses œuvres ici, mais je devine en cet artiste un esprit d’enfance persistant, qui n’aura jamais été élagué par qui ou par quoi que ce soit. Et cela est précieux pour un créateur. Esprit d’enfance, humour, tendresse… C’est donc avec le sourire qu’il nous faut accueillir les créations heureuses de Solenza, un sourire qui est notre façon de le remercier, en ces temps plombés de grisaille.